La biodiversité galvaudée ?
Cédric GAUCHEREL
On lit par exemple l’affirmation que « la biodiversité de nos écosystèmes est menacée ». Qu’entend-on par là ? La biodiversité, et même l’écosystème, sont de bons exemples de termes ambigüs, possédant de
nombreuses définitions.
Ce fait est à déplorer en science car il laisse la porte ouverte à la superposition de différentes ontologies, différents sens, qui ont toutes les chances de nuire à l’étude de ces concepts ou des objets qu’ils décrivent. Et lorsqu’il est trop difficile de définir des concepts encore jeunes, on peut au moins proposer de les circonscrire par leur contraire ou par une suite de propriétés mieux identifiées.
La biodiversité par exemple, peut se définir comme l’absence d’uniformité du monde vivant. C’est une autre illustration de la nonscience. Et parce que cette définition n’apporte presque rien avec elle, on prend généralement le temps de décliner ce concept en biodiversités génétique, spécifique et écosystémique. Ce découpage met notamment en exergue notre ignorance concernant la troisième biodiversité, les deux premières ayant été plus étudiées.
Mais examinons tout d’abord le concept d’écosystème. Les écosystèmes sont des objets bâtards, soumis à la thermodynamique physique autant qu’à la sélection naturelle chère à Darwin.
Un écosystème est formé d’une biocénose, sa partie vivante dite biotique, et d’un biotope, sa partie inerte dite abiotique.
L’homme fait partie des écosystèmes et y occupe une place un peu à part, si l’on considère qu’il occupe ces deux composantes par sa présence et ses activités. Bien que certaines études le prétendent par souci évident de simplification, on ne saurait réduire l’écosystème à l’une ou l’autre de ses composantes. Ces composantes peuvent être en nombre assez élevé et en natures (biotiques ou abiotiques) très différentes : sa flore, sa faune, ses sols, son atmosphère, ses populations humaines, etc. C’est sans doute cette multiplicité de composantes qui font la spécificité des objets d’étude écologiques, et qui ont notamment incité à analyser les flux de matières et d’énergie, des concepts plus fédérateurs, en leur sein.
Aujourd’hui, les écologues réduisent souvent les écosystèmes à leur réseau trophique, cette organisation des espèces qui interagissent au sein du système. C’est un abus ! On ne saurait réduire un écosystème à son fonctionnement trophique.
- Ce serait oublier que l’écosystème est également énergétique : c’est un système ouvert qui reçoit en permanence de la matière et/ou de l’énergie qui le « pousse » hors de l’équilibre thermodynamique.
- Ce serait oublier que l’écosystème se déroule dans l’espace, dans le temps et leurs échelles associées : les structures spatiales de ses composantes ont un impact à tous les niveaux d’organisation de l’écosystème.
- Ce serait oublier que l’écosystème est également génétique : il stocke l’information des génomes qui le constitue d’une façon qui lui confère des propriétés décidant en partie de la dynamique et du fonctionnement de l’écosystème.
La biodiversité écosystémique fait souvent référence aux communautés, aux assemblages d’espèces liés par des relations trophiques (nutritives) ou non. Cette définition est trop proche de la biodiversité spécifique et très réductrice : un écosystème ne peut probablement pas se comprendre par le seul examen de ses composantes biotiques (vivantes) ? C’est bien cet agencement biotique et abiotique qui donne à l’écosystème toute sa richesse, et la définition de sa biodiversité devra en tenir compte, qu’elle soit intra- ou inter-écosystème.
Pourtant, malgré ces affirmations qui donnent l’illusion de connaissances détaillées, les écosystèmes sont encore très mal compris.
On est aujourd’hui encore incapable de comprendre leur fonctionnement à long terme, ou pis encore, d’en adopter une vue unifiée.
On ne sait pas dire si le concept de biodiversité est important pour leur fonctionnement, question qui va bien au-delà de l’articulation à trouver entre stabilité et diversité.
Comme corollaire direct, on ne sait toujours pas gérer les écosystèmes ou même faire des propositions mesurées pour certains objectifs.
On est incapable de savoir quel impact le changement climatique aura sur eux et de prédire (ou juste de prévoir) leur état futur.
L’écologie des dernières décennies a aussi fait l’aveu d’une incapacité à expliquer les écosystèmes par la thermodynamique.
La biodiversité écosystémique est d’une tout autre nature que ses deux cousines.
Elle contient une large part de dynamique abiotique, ainsi que ses interactions continuelles avec sa dynamique biotique.
Elle concerne une multiplicité de composantes écosystémiques qui suggère plutôt d’adopter une vue synthétique de sa biodiversité, par exemple comme une sorte de trajectoire dans un espace avec
autant de dimensions que ses composantes.
Ainsi, la prochaine fois que nous entendrons un orateur prétendre que la biodiversité écosystémique (ou tout autre concept flou) est menacée, demandons-nous si ce n’est pas le concept lui-même qui est menacé… demandons-nous si l’emploi de ces termes apportent autre chose que le simple avantage cognitif de l’orateur sur l’assistance.
Aller plus loin :
“Les biodiversités : objets, théories, pratiques”, Pascal Marty, Franck-Dominique Vivien, Jacques Lepart, Raphaël Larrère
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