22/06/2010
Montpellier Journal « L’eau est un facteur de pouvoir politique en Languedoc-Roussillon »
Entretien avec Stéphane Ghiotti chargé de recherche au CNRS, sur le Pôle de compétitivité, l’alimentation en eau potable de Montpellier, la place des entreprises privées, le projet Aqua Domitia ou encore l’utilisation de l’eau comme moyen, pour un homme politique, de se maintenir au pouvoir et de mener à bien ses projets.
http://www.montpellier-journal.fr/2010/06/leau-est-un-fac...
… Revenons au Pôle eau. On voit bien l’intérêt des entreprises (récupérer des compétences de chercheurs) mais quel est l’intérêt du monde universitaire ?
Je ne fais pas partie de ceux, à titre personnel, qui pensent que les universités en général, et les universités de sciences humaines et sociales en particulier, doivent se couper des partenariats possibles avec le privé.
Je trouve au contraire que les étudiants en sciences humaines et sociales ont de vraies compétences à faire valoir et je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas monnayable sur le marché du travail en direction des entreprises privées.
Après, sur le principe d’accoler les formations à des entreprises privées, il y a du bon et du moins bon : un projet pédagogique n’a pas la même temporalité que celle, économique, d’une entreprise. Que fait-on pour financer une filière qui n’a plus de débouchés si on est pieds et poings liés ?
Mais sur le fond, d’une manière générale, ce pôle est une très bonne idée. Après, comme toujours, quel type de gouvernance y met-on ? C’est-à-dire, quelle est la place des universitaires, des chercheurs dans le conseil de décision ? Comment on oriente les sujets de recherches ? Quelles finalités ont-elles ? Pour qui ? Pour quoi ? Comment partage-t-on l’argent entre les différentes sciences ?
Ce pôle ne risque-t-il pas de renforcer la mainmise des entreprises privées sur la gestion de l’eau ?
De toute façon, elles ont la place qu’on veut bien leur laisser. Si le privé a en délégation la gestion de l’eau d’une commune, d’une agglo, d’une communauté de communes, etc. c’est qu’il y a eu suffisamment de consensus économique et politique pour que ça se fasse.
Il n’y a pas d’un côté les méchants et de l’autre les gentils. C’est trop facile de rejeter la pierre sur l’un ou sur l’autre. Quand on passe en délégation, c’est voté. Après, c’est quel contrôle démocratique on met derrière, quel type d’évaluation on fait, laisse-t-on un chèque en blanc, laisse-t-on faire pendant 20 ans, en parallèle se dote-t-on de services techniques en interne capables d’avoir un oeil ou alors est-ce qu’on délègue complètement ?
Avec le Pôle eau, n’y-a-t-il pas un risque que les collectivités de la région perdent encore en compétence et qu’en cas de volonté de reprendre la gestion de l’eau en régie, on leur rétorque qu’elles n’ont pas les compétences pour le faire ?
De toutes façons, je ne pense pas que les entreprises privées aient attendu le Pôle de compétitivité pour avoir le dessus sur les collectivités territoriales. C’est un processus engagé depuis la loi de la décentralisation. Ce que ça peut changer c’est qu’on va avoir une structuration institutionnelle parce qu’il y a quand même une forte volonté politique pour que ça apparaisse. C’est aussi symbolique que ce pôle émerge à l’échelle française, européenne voire mondiale, ce n’est pas neutre dans le contexte du Languedoc-Roussillon.
Pourquoi en Languedoc-Roussillon ?
C’est une région où l’eau est un élément majeur dans l’organisation du territoire et un facteur de pouvoir politique.
Et ça, c’est séculaire. C’est encore plus vrai depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Donc celui qui a la main sur les ressources a des marges de manœuvre fondamentales. Il suffit de regarder le projet Aqua Domitia et le discours politique sur la question pendant les régionales, par exemple de Bourquin [vice-président de la région] qui a dit qu’Aqua Domitia c’était pour aider l’agriculture et notamment la viticulture. Quand on sait que l’idée de Philippe Lamour, quand il construit le canal, c’est de flinguer la viticulture, c’est symbolique quand même. C’est de fracasser le Midi rouge qui s’ancre dans la viticulture et de faire la Californie en Languedoc-Roussillon. Faire des céréales, des cultures à haute valeur ajoutée.
Derrière les projets hydrauliques, il y a des projets politiques. Et quand on change l’occupation du sol, on change le foncier, les rapports sociaux, on fait venir d’autres types de personnes.
En caricaturant, l’idée c’était de faire venir des grands céréaliers comme sur la Beauce – même si ce n’est pas la même géographie ?
Ça se développe à un moment où les rapatriés d’Algérie arrivent qui, eux, ont l’expérience des grands domaines irrigués et on leur donne des terres, comme ça s’est passé sur une partie de la Camargue. Le canal Philippe Lamour et tous ces grands aménagements hydrauliques naissent dans les colonies, au Maroc et en Algérie. Ces grands projets ont aussi un arrière fond colonial.
[…]
Derrière l’eau, il y a un objectif agricole mais il y en a d’autres. Il suffit de regarder le tracé de l’extension du projet Aqua Domitia.
D’un point de vue hydraulique, c’est l’encerclement de la ville de Montpellier donc derrière, c’est quoi ? C’est l’eau urbaine, c’est vendre de l’eau aux villes parce que c’est là où c’est le plus rentable. Ce n’est pas de l’eau agricole. C’est vendre de l’eau où ? Sur l’artère qui passe à l’ouest, c’est toutes les stations littorales. Donc derrière c’est quoi ? Prolonger le modèle de développement urbain, touristique. L’objectif est clair, il n’est pas de sécuriser les ressources, c’est pipeau ça.
La suite est de plus en plus pertinente, à lire sur http://www.montpellier-journal.fr/2010/06/leau-est-un-fac...
23:40 Publié dans Pôle compétitivité Eau, Politique locale | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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